Face aux GAFAM

La France à la reconquête de sa souveraineté numérique

Il devient commun de comparer le pouvoir des GAFAM à celui des États. Non pas qu’ils régissent les lois ou les services publics, mais plutôt dans le sens où ces monstres économiques détiennent aujourd’hui un pouvoir colossal par la place centrale qu’ils occupent dans la vie personnelle des citoyens.

Si les données récoltées sont utilisées pour adapter toujours plus avant le service proposé aux attentes des clients, il est légitime de s’interroger sur les règles finalement édictées par ces firmes américaines.

Les GAFAM détiendraient-elles une souveraineté numérique concurrençant la souveraineté territoriale de l’État ? Comment la France protège-t-elle ses citoyens ?

Voici quelques éléments de réponse.

Les (bonnes) questions à se poser

Que sont les GAFAM ?

Commençons par le commencement, le terme GAFAM est un acronyme désignant les entreprises du monde du numérique qui dominent très largement le marché mondial : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

La capitalisation boursière de ces entreprises dépasse celle de l’ensemble du CAC40, ainsi que le PIB de certains pays.

D’autres enseignes pourraient rejoindre cette liste d’influenceurs économiques : on parle également aujourd’hui des NATU regroupant Netflix, AirBnB, Tesla et Uber qui détiennent une puissance boursière importante.

Nous traitons ici des GAFAM en particulier afin d’explorer le changement sociétal induit par le pouvoir numérique détenu par ces entreprises devenues institutions.

L’action des entreprises de ce type se fait au travers d’une interface numérique, est donc dématérialisée et peut prendre la forme de services, de transactions ou de publicité.

Elles acquièrent une position dominante par différentes stratégies : l’innovation, le rachat des concurrents, le recrutement de cadres supérieurs et le soutien à des lobbys.

La fiscalité qui leur est appliquée est généralement avantageuse car ces sociétés non physiques choisissent d’implanter leurs sièges dans des endroits spécifiques.

Notamment au Luxembourg ou en Suisse pour ce qui est de l’Europe.

Quelle souveraineté en question ?

Lorsque l’on évoque une opposition entre les États et les GAFAM, on s’interroge en réalité sur l’accumulation, la diffusion et le contrôle des données récoltées sur les citoyens.

Dans le cadre de leur activité, les GAFAM en collectent une quantité astronomique leur permettant autant de définir des profils type de comportement que de pénétrer presque dans l’intimité de tout un chacun.

L’utilisation (la manipulation ?) de ces informations peut conférer une influence de nature à concurrencer celle apportée par les partis politiques et au-delà, par l’État.

Ces entreprises agissant de manière totalement dématérialisée et ne connaissent de frontières que celles que leur imposent les différentes législations étatiques.

Par ailleurs et pour certaines d’entre elles, la libéralisation de la transmission d’information au cœur de leur raison d’être peut constituer à la fois un bienfait important et un danger terrible comme nous le démontre régulièrement l’actualité.

Le harcèlement sur les réseaux sociaux est notamment un fléau grandissant menaçant la jeunesse.

C’est face à cette colonisation silencieuse que l’État intervient – ou devrait intervenir – pour préserver sa souveraineté numérique et imposer des limites propres à protéger les citoyens et leurs droits fondamentaux. Voyons où en est la situation en France.

Les GAFAM en France

Un questionnement politique récent

L’utilisation des GAFAM se fait selon des règles plus ou moins codéfinies avec l’État français, selon ce qui est acceptable ou non dans notre culture, par notre législation et qui peut donc varier d’autres pratiques de par le monde.

Devant la nouveauté de cette intervention dans le champ public, un rapport d’une commission d’enquête sénatoriale sur la souveraineté numérique a été publié en octobre 2019. Celui-ci pointe du doigt l’absence de « stratégie globale lisible qui fédérerait les énergies et les efforts » afin de préserver la souveraineté numérique de l’État. Il pose ensuite 5 recommandations principales afin d’encadrer au mieux, in fine, l’action des GAFAM :

Définir une stratégie nationale numérique, au travers d’un Forum institutionnel temporaire du numérique. Le Conseil national du numérique serait ainsi transformé en espace de concertation pour une durée de 2 ans.
Soutenir la Loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique (LOSSN) visant à développer le numérique de façon plus encadrée. Celle-ci pourrait même aboutir à l’établissement de cartes d’identité électroniques et à l’instauration d’une cryptomonnaie publique, a priori européenne. Hypothèses à confirmer.
Une volonté de faire héberger les données personnelles et économiques par des prestataires français non soumis aux législations étrangères.

Adapter la règlementation, notamment en développant le droit de la concurrence et en régulant le secteur du numérique et de la détention de données.
Innover en matière de cybersécurité.

Ce rapport montre une volonté affichée de reprendre possession ou d’exercer un contrôle, sur les données transitant sur le réseau numérique du pays. D’aucuns craignent que cela cache des velléités protectionnistes, néanmoins et depuis ce rapport, il semble qu’une action concrète apparaisse de plus en plus nécessaire.

L’évolution en 2020

C’est l’actualité de 2020 qui met plus que jamais en exergue les questions d’articulation entre le pouvoir étatique de régulation et les dérives apparues sur les réseaux.

D’abord, la crise sanitaire liée à la Covid-19, en généralisant le télétravail et en accélérant la numérisation de l’économie, a encore accru le côté incontournable de nombre d’entreprises qui n’ont parfois même pas un bureau sur le territoire national, rendant ainsi un possible recours en cas de mauvaise utilisation des données plus qu’hypothétique.

Sans compter que le volume de données sensibles en augmentation rend toujours plus probable une récupération par des tiers aux intentions inconnues.

Ensuite, la triste actualité depuis septembre 2020 laisse apparaître que les GAFAM et en particuliers les réseaux dits sociaux, peuvent être utilisés à des fins d’appel à la haine et favoriser l’obscurantisme.

Il est dès lors temps de prendre des mesures contraignantes mais en bonne intelligence avec ces entreprises dont les français ne sauraient plus se passer, afin que les données transitant par les GAFAM ne puissent être d’une part utilisées à des fins d’accroissement du pouvoir de toute personne ou entité possiblement mal intentionnée, d’autre part politisées alors que les GAFAM ne peuvent se prévaloir du titre de leader d’opinion.

Un contrôle se doit d’être appliqué, sur toute idée pouvant atteindre des millions de personnes en France ou à l’étranger.

Toute la difficulté est de définir le curseur entre un contrôle nuisant à la liberté d’expression si chère à notre pays, et une libéralisation telle que peuvent circuler librement en France des données se voulant aller à l’encontre des règles fondamentales de notre démocratie et des valeurs qu’elle affiche.

Une action française mais un cadre européen

En septembre 2020, le Président Emmanuel Macron affirmait devant les acteurs de la « French Tech » que la « bataille du Cloud » était pour l’heure perdue, et appelait à une coopération européenne au sein de laquelle la France avait de nombreuses cartes à jouer.

Des partenariats public/privé et une cybersécurité puissante pourraient permettre à notre pays d’être le fer de lance d’une future montée en puissance de l’Europe face aux GAFAM américains.

N’oublions pas que les agences nationales française et allemande, l’ANSSI et le BSI, ont une légitimité déjà reconnue sur la scène internationale.

De plus, le cadre règlementaire en place qui concerne la protection des données, le RGPD, offre une assise et ouvre la voie au développement de la sécurité des données personnelles.

Précisons enfin que la volonté de nationaliser davantage la gestion des données n’est pas nouvelle, et que le Ministère des armées, comme l’Assemblée nationale, utilisent le moteur de recherche « Qwant » en lieu et place de Google depuis 2018.

C’est aujourd’hui la Chine qui se présente comme adversaire majeur des Etats-Unis en matière de souveraineté numérique, au point qu’il arrive de comparer cette situation à une nouvelle guerre froide.

Restons toutefois certains qu’une politique concertée des pays européens en la matière, avec des efforts nationaux comme compte en faire la France sous l’égide de son Président concerné, nous assurera d’obtenir une place sur la scène numérique mondiale.

Et avant tout, de gérer nos données sensibles par nous-mêmes plutôt que les laisser s’échapper au bon vouloir d’entreprises américaines qui concurrencent les nôtres.

Cela passe par une action publique certes, mais également par le choix de chaque citoyen, d’utiliser des outils nationaux ou européens.